A travers ce roman, José Saramago nous emporte lentement, inexorablement vers les profondeurs obscures de l’être humain, celles qui peuvent, le rendre le plus misérable, aux yeux des autres et de lui-même, en lui faisant perdre sa dignité.
L’Aveuglement est une sorte de conte cruel qui sort de l’ordinaire par la façon dont il est écrit : sa longueur, ses phrases sans ponctuation créent une ambiance lourde, quasi asphyxiante qui fait ressentir au lecteur l’atmosphère étouffante, insupportable de la tragédie humaine qui se joue dans cette société où règne la loi du plus fort du plus violent, du plus sadique, dans ce monde où le marasme humain est insoutenable. Lire ce livre a été par moments une véritable épreuve. Je me suis même demandée si j’allais poursuivre la lecture mais vient l’instant où mon cœur a basculé et finalement l’envie de savoir ce qui va se passer l’emporte d’autant que les talents de l’écrivain et les rebondissements de l’intrigue vous tiennent en haleine jusqu’à la fin de l’histoire.
De plus, une lueur inextinguible parvient à briller tout au long du récit, incarnée par la femme du médecin. Grâce à elle, le ton n’est pas totalement désespéré, grâce à elle, on garde un mince mais durable espoir.
Ce livre m’a fait penser au travail d’un sculpteur qui laisse un buste à l’état brut pour faire apparaître l’essentiel, les traits du visage, l’expression pure sans les masques sociaux. De même, dans le livre, les comportements humains sont donnés à voir en dehors des rôles et convenances de la vie en société.
L’Aveuglement dénonce la peur dont découlent le pouvoir abusif, la convoitise, le chacun pour soi, la déshumanisation.
A l’inverse, il célèbre le courage, la bienveillance, la fraternité, la solidarité, véritables boucliers contre la sauvagerie et la barbarie destructrices.
José Saramago dépeint une société en perdition, mais il ne perd pas espoir. Un livre beau et dérangeant dont on ne sort pas indemne.